Publié dans Prêtre et Pasteur, Mai 2017, pp. 294-297
« Le Seigneur dit à Abram : Va-t’en de
ton pays,de ta patrie, et de la maison de ton père,
dans le pays que je te
montrerai » Gn 12, 1.
Mon
enfance
Si on m’avait dit qu’il fallait aller
jusque sur la Côte-Nord du Québec, Canada, pour retrouver la simplicité de la
foi chrétienne, je ne l’aurais jamais cru. Né dans une famille très pratiquante
; d’une mère très pieuse et d’un père d’une foi très adulte et qui a toujours
besoin de savoir le pourquoi avant de croire, j’ai donc dû apprendre à naviguer
tôt entre la piété et l’incrédulité. À sept ans, j’ai rejoint le groupe du
Rosaire et à onze, lors d’un cours sur la religion, j’ai vu naître mon
désir d’être missionnaire.
Mais n’ayant pas encore assez
d’arguments pour convaincre mon père – qui me voulait avocat – que j’avais déjà
découvert quelle était ma vocation, j’ai donc dû continuer longtemps à mûrir
l’idée dans mon cœur d’enfant. Tout mon jeune âge fut un temps pour servir dans
notre église locale dans divers groupes et mouvements de piété. Tous mes rêves
d’enfance étaient cependant de devenir prêtre et de partir loin pour apporter la
Bonne Nouvelle à un autre peuple comme les spiritains irlandais l’ont fait pour
mon peuple.
Le début de ma
vocation missionnaire
Cependant, étant d’une société où il
est souvent difficile de distinguer les prêtres religieux des prêtres
séculiers, toute mon enfance s’est passée juste dans le rêve de devenir prêtre,
religieux ou séculier, peu importe. Par providence, j’ai trouvé une manière
de convaincre mes parents que j’avais un autre rêve que le leur. En débutant
donc mon cheminement dans mon diocèse d’origine, j’ai pu, quelque temps avant de
commencer ma propédeutique, comprendre la différence entre prêtre religieux
et séculier.
Ayant connu les Missionnaires Oblats
de Marie Immaculée, ma formation à la vie religieuse prend son envol. Six
années passées au Cameroun dont deux au prénoviciat et au noviciat
respectivement, trois en philosophie et une autre pour le stage pastoral. Mais à
la fin de mes études philosophiques, j’ai eu ma première crise
existentielle. J’ai pratiquement perdu la foi en Dieu, car toutes les
preuves de l’existence de Dieu assimilées au cours de la métaphysique et de
la question de Dieu ne m’ont paru être de très beaux discours, mais très
détachés de ce Dieu connu de mon enfance. J’ai donc terminé le premier cycle de
la philosophie presque athée.
À la fin de mon stage canonique, j’ai
été envoyé à l’université grégorienne de Rome pour la théologie. Là aussi,
d’autres beaux discours se sont ajoutés. En effet, du point de vue
intellectuel j’étais réaliste, pendant que beaucoup des enseignements
théologiques relevaient de la pure spéculation, donc de la
théorie.
Il fallait donc un retour à la
pastorale pour commencer à me reconnecter avec ma foi en Dieu. Mais le vrai
retour se jouera lors de mon arrivée chez le peuple innu de la
Côte-Nord.
Mon arrivée au
Québec
Faisant partie de la communauté des
Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, je suis donc venu travailler avec mes
frères Oblats de la Province Notre-Dame-du-Cap, Québec. Arrivé au Canada le 21
décembre 2014, j’ai été envoyé dans la communauté innue de
Uashat-Mak-Mani-Utenam pour rejoindre l’équipe missionnaire au service du
peuple innu. Arrivé en plein hiver dans ce pays d’hiver, le premier ajustement à
faire était, pour moi qui venait d’un pays tropical, d’affronter le froid.
L’accueil fut chaleureux de la part de ma communauté religieuse ainsi que de la
communauté innue. Et jour après jour, je commençais à m’insérer dans cette
communauté qui allait devenir la mienne dans un avenir proche. Cependant, pour
mieux travailler dans la communauté innue, il fallait s’initier à la
culture et à la langue innue. Ainsi commença mon voyage dans l’univers
linguistique et culturel innu.
Selon notre programme missionnaire, la
première année est dédiée à l’immersion culturelle. J’ai donc débuté mon cours
de langue innue. Ma première impression
était que l’innu était une langue complexe. Mais au fur et à mesure que j’avance
dans mon apprentissage, je tombe amoureux de cette langue sacrée et
relationnelle. Je me suis donc rendu compte au bout de quelques mois que,
pour mieux comprendre le peuple innu, il m’était capital, voire indispensable,
de comprendre leur langue. Aujourd’hui je l’apprends encore, mais le peu
que je connais m’ouvre un canal sur l’anthropologie du peuple
innu.
Pour mieux comprendre l’histoire et la
réalité ancestrale des Innus, je suis allé rencontrer un aîné dans le Nutshimit,
l’intérieur des terres ou dans le Nitassinan,
le territoire, comme on dit régulièrement. Mon séjour dans le territoire
fut agréable mais aussi révélateur, car j’y ai appris la valeur de
l’observation dans l’enseignement chez le peuple innu. Il faut observer les
aînés pour savoir comment se font les choses ou comment se passent les
choses.
Mon expérience
et ma présence missionnaire chez les Innus
Depuis plus d’un an maintenant, je
suis à temps plein dans les communautés innues d’Ekuanitshit (Mingan) et de
Matimekosh- Lac-John (Schefferville) comme pasteur. Je suis responsable de
l’animation de la vie de l’église locale. Avec un groupe de catéchètes et
d’autres collaborateurs – surtout des collaboratrices pastorales – nous
essayons d’organiser la catéchèse et d’autres activités pastorales ainsi
que différentes célébrations liturgiques.
La plus grande difficulté que j’ai
rencontrée dans notre mission chez le peuple innu est celui de pouvoir rejoindre
les jeunes. Soulignons que la majorité de la population innue est jeune (50 % a
moins de 20-25 ans) et vu que les jeunes ne sont pas souvent à l’église, elle
manque donc à nos activités ordinaires. Même ceux qui viennent à la préparation
des sacrements disparaissent une fois l’acte conclu. Et donc, depuis mon
arrivée, j’ai essayé de trouver des occasions et des lieux pour pouvoir les
rejoindre. Le moyen le plus efficace, actuellement est le
sport.
Durant l’été de 2015 (donc 6 mois
après mon arrivée), j’ai participé, en qualité d’entraîneur-adjoint et
accompagnateur, aux Jeux Autochtones Inter-bandes (JAIB). Ce tournoi sportif,
aux multiples disciplines, regroupe toutes les communautés autochtones du
Québec. Cette activité m’a permis de cheminer pour dix jours avec les jeunes,
leurs accompagnateurs et leurs parents. C’était une expérience inédite car les jeunes
avouaient n’avoir jamais penser non seulement trouver un prêtre entraîneur de
basketball, mais aussi de pouvoir passer autant du temps avec un
prêtre.
Depuis ce temps-là, je suis devenu
pour ces jeunes un grand-frère et un ami. Je vais les rejoindre dans leurs lieux
de sports et dans les maisons des jeunes. J’ai aussi appris, au cours de cette
expérience, comment les accompagner dans leurs recherches du sens et de
valeur. Beaucoup réussissent à se confier, nous parlant de leurs difficultés et
de leurs crises. Avec l’aide de la communauté, nous trouvons une manière de les
aider.
Il m’arrive aussi de pouvoir relayer
leur préoccupation aux autorités locales et chercher à trouver avec la
communauté des pistes pour leur bien-être.
Toutefois, au-delà de ces activités
pastorales, d’autres aspects de la réalité autochtone continuent à me séduire,
notamment leur relation avec la nature. J’ai eu l’occasion d’aller avec des
jeunes et des adultes dans des milieux où se pratiquent des activités
traditionnelles. Je suis déjà allé avec les étudiants au secondaire à une
expédition de pêche sur la glace et aussi avec les pêcheurs professionnels
au large du fleuve Saint-Laurent pour le lever des cages aux crabes. Tous ces
moments, en plus d’être une occasion de me socialiser avec le peuple innu, me
donnent aussi l’occasion de comprendre leur culture et leurs mœurs et, enfin, me
permettent de pouvoir contextualiser mon
enseignement.
Aujourd’hui, après deux ans de vie
missionnaire en milieu innu, je commence à me rendre compte au jour le jour que
la mission ne s’invente pas seul. Elle se crée mais avec les membres du peuple,
à partir de qui ils sont, de ce qu’ils savent, de leur histoire et de leur
anthropologie. L’Évangile ne peut donc s’incarner dans la vie des gens que si le
missionnaire lui-même ne commence pas par s’insérer dans leur milieu, ou
sans qu’il ne sente l’“odeur de ses brebis» comme dit le pape
François.