À onze ans, j’ai appris quelque chose qui a transformé ma vie pour toujours. Je viens du sud-est du Nigeria, un peuple évangélisé par les Spiritains irlandais. Lors d’un cours de religion, notre enseignante nous a expliqué d’où venaient les missionnaires qui nous ont apporté la Bonne Nouvelle. Je me souviens encore qu’elle nous disait que c’étaient « ndi ocha » — des blancs — en Igbo, venus de « obodo oyibo » — la terre des blancs — et qui ont passé des mois sur la mer avant d’arriver dans notre partie du monde et qui nous ont apporté le message de Jésus Christ. Évidemment, dans mon imagination d’enfance, dans un village où il n’existait ni lac ni rivière et où les blancs n’étaient pas connus, l’effet de ce récit était d’un autre niveau.
Tout petit et maigrichon que j’étais, je rêvais de partir loin de ma patrie pour apporter aux autres le message de cet homme assez fou pour donner sa vie pour l’humanité tout entière. Et pendant les années qui ont suivi, j’ai été toujours habité par ce désir que je n’arrivais pas encore à bien nommer. Mais avec le temps, j’ai appris que l’histoire de l’évangélisation n’était pas toujours rose, à cause des drames de la colonisation et de l’esclavage. Les échanges avec mes parents m’ont aussi révélé d’autres informations comme le prix que beaucoup ont dû payer pour avoir été choisis pour aller à l’école. Ils m’ont raconté l’agonie de certains parents qui ont osé refuser d’envoyer leurs enfants à l’école : un récit sur des champs saccagés et des animaux domestiques confisqués afin de signaler aux parents la nécessité de suivre l’instruction des blancs qui étaient soit des missionnaires soit leurs représentants.
Je ne parle même pas de la diabolisation systématique de la culture de mon peuple, car, chaque année qui passait me faisait découvrir avec dédain que c’était ces mêmes blancs qui achetaient mes frères noirs. J’ai même aussi appris que c’était la civilisation occidentale qui traitait la spiritualité de mon peuple de païen ou d’animisme quand elle voulait nous amadouer.
Je ne parle même pas de la diabolisation systématique de la culture de mon peuple, car, chaque année qui passait me faisait découvrir avec dédain que c’était ces mêmes blancs qui achetaient mes frères noirs. J’ai même aussi appris que c’était la civilisation occidentale qui traitait la spiritualité de mon peuple de païen ou d’animisme quand elle voulait nous amadouer.
Mais malgré tout cela, je ne peux pas ignorer certains personnages comme Mgr Joseph Shanahan et Père Desmond McGlade qui ont marqué l’imaginaire de mon enfance. Ces deux spiritains irlandais sont devenus des personnages mythiques dans mon coin du pays Igbo. Leurs légendes et celles de quelques autres spiritains irlandais ont été tellement fortes que, presque dans chaque localité qu’ils ont travaillée, ils avaient un nom Igbo que les plus jeunes comme moi qui ne les ont pas connus en vie ont dû croire non seulement qu’ils étaient Igbo, mais qu’ils étaient originaires de nos propres villages. Les missionnaires comme ces deux-là ont fait que, malgré les péchés de certains autres missionnaires qui traitaient mon peuple de vauriens ou des sous-humains, j’ai toujours gardé une très bonne image du message de Jésus de Nazareth.
En réalité, tôt dans ma vie, mes parents m’ont appris à haïr non pas des personnes, mais plutôt leurs mauvais actes. Ils m’ont aussi rappelé, chaque fois que je leur ai posé des questions sur la colonisation et la christianisation qu’il y a eu beaucoup de blancs et de missionnaires qui se sont donnés pour le bien-être de mon peuple comme il y a eu aussi des usurpateurs autant parmi des missionnaires comme parmi d’autres blancs qui sont venus chez nous. Ils m’ont souvent dit que parmi les gens de chez nous, il y a aussi beaucoup de malfaiteurs et que je ne dois pas haïr les gens justement parce que leurs semblables ont commis des atrocités.
Drôlement, c’est maintenant que leurs admonitions me paraissent très claires. Étant moi-même missionnaire aujourd’hui, je me trouve face à certains ressentis qui ont habité ma jeunesse. À chaque fois que j’écoute quelqu’un (et il y en a malheureusement beaucoup) qui a fait une mauvaise expérience de la rencontre entre différents peuples, surtout de par des missionnaires, je revois mes sentiments de jadis. Et comme le destin fait ses choses, moi qui ai dû faire la paix avec l’aspect dramatique de l’histoire de la colonisation et de la christianisation chez moi, je me trouve comme héritier des occasions manquées de l’évangélisation. Et tout en me demandant jusqu’où je suis responsable de leurs péchés, je cherche à écrire de nouvelles pages sur l’histoire de la mission d’ici.
Mais, parfois, même si je n’ose pas le dire, je sens au fond de moi que, si je n’avais pas encore fait la part des choses, je devrais en vouloir à tous ceux que je rencontre aujourd’hui qui, dans mon imagination, n’étant pas des noirs, sont aussi l’image des hommes et des femmes blancs — ces colonisateurs de mon enfance. Pourtant, je sais qu’ils n’en sont pour rien et qu’on n’hérite pas du péché des autres.
Mais, parfois, même si je n’ose pas le dire, je sens au fond de moi que, si je n’avais pas encore fait la part des choses, je devrais en vouloir à tous ceux que je rencontre aujourd’hui qui, dans mon imagination, n’étant pas des noirs, sont aussi l’image des hommes et des femmes blancs — ces colonisateurs de mon enfance. Pourtant, je sais qu’ils n’en sont pour rien et qu’on n’hérite pas du péché des autres.
Et quand je découvre (et de plus en plus) d’autres révélations des abus commis au nom de Dieu, je refuse de l’imposer à l’Église universelle, surtout, d’en voir comme caractérisant cette Église que j’aime tant. Et même quand je lis des propos pessimistes ou fatalistes tenus à son égard, je refuse d’y voir une atteinte à l’identité de cette épouse chérie du Christ, car je me rappelle vivement, le conseil de mes parents : « il y a eu des mauvais et de bons missionnaires, c’est à toi de faire la part des choses ». Et j’affirme avec beaucoup de conviction que l’Église, en soi, n’est pas mauvaise, car je me sens aussi membre à part égal de cette Église. Et pour ceci, je ne suis pas prêt à me faire voler ni ma foi ni mon Église, car l’Église n’est ni aux cardinaux ni aux évêques. L’Église c’est aussi moi et toi et pour ceci je dénonce tous ceux qui ruinent le nom de cette communauté des croyants.
En plus, je refuse de l’identifier aux péchés de quelques membres, aussi important que soit leur rôle dans cette communauté, car, personne n’a le monopole de cette communauté que Jésus lui-même a fondée. Et je revendique le droit d’affirmer ma foi non seulement comme prêtre missionnaire, mais comme baptisé, car c’est d’abord par le baptême que nous devenions membres de cette communauté. Et même si beaucoup sont portés à croire qu’elle s’écroule, je refuse d’y penser, non seulement parce que son fondateur a promis de la protéger, mais parce qu’elle est plus grande que les erreurs de certains membres ordonnés et ne se limite pas à l’expérience vécue dans certaines parties du monde. Enfin, même si les péchés de certains membres de cette famille nous portent à croire qu’elle est pécheresse, je refuse d’y croire, car, par son appartenance au Christ, l’Église est toujours sainte, indépendamment du péché de ses hiérarchies. Donc, pour l’amour du Christ, l’époux de la Sainte Église, je défends l’intégrité et la sainteté de l’Église qui ne dépend nullement de la sainteté de ses membres pour sa sanctification.
Ali Nnaemeka, o.m.i (mekaalison@gmail.com)
”The truth might be hard to say, painful to bear or even drastic for the truth sayer but still needed to be said”. Alisonomi