Antoine de Saint-Exupéry disait, dans Terres des hommes : « D’où suis-je ? Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d’un pays. »
Quand nous rencontrons des immigrants nous avons cette habitude de leur demander comment ils se sentent d’être ici, mais presque jamais comment ils se sentent d’être loin de leur patrie. Mais une chose est sûre, pendant que certains d’entre eux cherchent à oublier la patrie et bien s’installer dans leur pays d’accueil, d’autres ne rêvent que de retourner dans leur terre natale.
Cette réalité s’applique généralement à nous tous, surtout en relation avec nos différents pays qui son notre enfance. Comme les immigrants nous quittons notre enfance sans souvent le vouloir. Et pendant que certains cherchent à l’oublier, d’autres font tout pour y retourner, ne serait-ce que pour des moments spontanés. Et parce que la rupture entre l’enfance et l’adolescence ne s’annonce pas, beaucoup s’y exilent sans en être préparés. Et sans ramasser leurs trésors, ils franchissent une barrière que la croissance leur impose.
Je voudrais faire, avec vous, une visite à ma patrie. Nous y retournerons pour chercher quelques trésors cachés dans la maison de mon grand-père.
Mais pourquoi chez mon grand-père ?
Eh bien c’est parce que, à part les expériences autour de mon grand-père, je ne me souviens rien d’autres de mes premières années de vie. Je ne me souviens que de trois évènements de mon enfance, et les trois se sont produits chez mon grand-père. Ici, nous n’en verrons qu’une incidence, et probablement d’autres viendront si notre visite porte de bons fruits. Ces souvenirs, semblent-t-il, croissent dans ma mémoire avec le passage du temps. Et comme disait un vieux prophète, ils se renouvellent et prennent la force comme les aigles qui courent, et ne se lassent point, ils marchent, et ne se fatiguent point.
D’habitude, les gens s’attendent à ce que nos premiers souvenirs soient ceux vécus avec nos mères. Mais ne dites pas à la mienne que je ne me souviens pas vraiment de beaucoup d’elle dans mes premières 5 années de vie. Toutefois, cela ne veut sûrement pas dire que j’ai eu une enfance plate. Au contraire, j’en ai eu une très heureuse. On était bien libre, sans téléphone ni télévision. Nous fabriquions nos propres jouets, et nous courions joyeusement derrière les pneus de voiture ou de moto comme les enfants le font aujourd’hui sur les motoneiges. On travaillait beaucoup, mais on jouait aussi et surtout dehors.
Très tôt, nous avons appris à être indépendant, et chaque enfant avait sa propre responsabilité dans la famille. Ma mère n’était pas celle à trop dorloter ses enfants, mais j’ai de beaux échos de ce temps, de la part de ma grande sœur. Mais qui peut en vouloir à elle ? Comment aurait-elle réussi à élever onze enfants si elle passait son temps à les dorloter ? Et pire encore, avec ses 7 gars qui sont nés, chacun, presque avec un projet de manger tout ce qu’elle préparait chaque soir. On avait tous un appétit des petits loups.
Mais pour revenir à mon grand-père, soulignons qu’il est décédé quand j’avais seulement trois ans. Il a vécu bien longtemps, mais ne me demande pas quel âge il avait à sa mort. Cette année, mon père aura 85 ans, et il est toujours bien plus jeune que mon grand-père l’était au moment dont je vous parle. Ils sont encore, aujourd’hui, plus d’une dizaine de personnes plus âgées que mon père dans notre famille. Et mon grand-père était l’aîné de notre village pour plusieurs années. Il était vraiment vieux, ou peut-être qu’ayant moins de 3 ans, je ne me souviens que d’un vieillard. Mais son image est encore bien imprimée comme une photo, en noir et blanc, dans ma mémoire. Je me souviens presque de l’habit qu’il aimait porter. Ou peut-être que je devrais dire, l’habit qu’il mettait autour de sa hanche. Les choses ont tellement évolué dans mon village que même un octogénaire comme mon père se plaît à porter des pantalons Jean.
Mon premier souvenir de vie est celui d’une journée de marché de chez nous. Ma mère nous laissait, moi et ma grande sœur, avec mon grand-père avant d’aller au marché. Elle avait cette habitude de porter mon petit-frère sur le dos, avec un panier bien équilibré sur sa tête, et ma grande sœur et moi-même qui marchions à petits pas derrière elle. En nous laissant avec mon grand-père, elle continuait vers le marcher en attendant que mon père nous récupère après avoir vendu son vin de palmier.
Mon grand-père n’était pas chrétien, car à son temps, des chrétiens étaient des espèces rares dans mon village. Je me rappelle un matin où j’étais avec lui devant l’autel de nos ancêtres. C’est une belle image qui m’accompagnera sans doute jusqu’à la tombe.
Ce matin en question, comme il avait l’habitude de le faire, dès le lever du soleil, il se présenta devant cet autel où les symboles ancestraux de quatre grands-pères qui sont les fondateurs de notre village sont dressés. Il s’y présentait toujours avec une noix de cola et une craie de calebasse. Et assis à côté de lui, ce jour-là, j’écoutais silencieusement sa prière. Et même aujourd’hui je l’attends prier quand je me concentre un tout petit peu. Je me vois encore accroupi à côté de ce vieillard si propre avec des peaux plissées un peu partout. Je ne me souviens pas de ses regards, peut-être parce que, chez nous, les enfants ne regardaient pas des adultes dans les yeux.
Il commençait toujours en traçant quatre lignes devant cet autel familial. Il traçait chaque ligne en l’honneur de chacun des quatre jours de marché de notre peuple. Il nommait respectivement Afo, Nkwo, Eke, Orie, à chaque fois qu’il traçait une ligne. Il priait pour ndu (la vie), udo (la paix), ogologo ndu na ahuike (la longévité et la bonne santé), oganihu, (la prospérité), ndu umuaka (pour la santé des enfants), ndu okenye (pour la santé des adultes), ndu azu (pour la santé des poissons), ndu nnunu (pour la santé des oiseaux), egbe bere ugo bere (pour le respect mutuel – ce qui se traduirait, littéralement, « pour que l’aigle puisse atterrir ainsi que le faucon ») et pour tout ce que le créateur a fait. Je ne sais même pas pourquoi il priait pour le poisson. Nous n’avons aucun cours d’eau chez nous, et le poisson était une denrée rare.
Ensuite, il rompait la noix de cola, jetant la partie centrale à terre avant de donner une petite partie à chacun de nos ancêtres. Après cela, il partageait le reste de cola entre nous. Les enfants ne mangent pas de cola chez nous, mais certaines règles ne s’appliquaient pas chez les grands-pères.
Mais en dehors de ces gestes ritualisés, je ne me rappelle rien d’autre sur nos discussions, si nous n’en avons eu. Aujourd’hui, je me dis que j’aurais aimé capter nos discussions avec une enregistreuse afin de comprendre mieux ce que mon grand-père pensait de notre visite. J’aurais aimé, par exemple, lui poser quelques autres questions. Ou du moins, me souvenir des questions que je lui posais, car étant enfant je posais beaucoup de questions. Ainsi ma maman m’a dit avec le temps. Je me rappelle encore qu’elle m’appelait « o ju ajuju », « celui qui pose beaucoup de questions ». J’aurais aimé savoir ce que mon grand-père pensait de mes interminables questions.
10 Comments
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