Il faisait -21 °C ce matin-là, au nord de Fermont et à la frontière de Québec et du Labrador. La journée avait commencé comme tous les jours du mois de pishumuss [le petit mois — décembre] dans cette ville nordique : glaciale, envoûtante et presque féerique. On pouvait presque entendre respirer les montagnes au lever du jour qui arrive un peu en retard en ce temps de l’année. Car, même les chiens [et nous en avons autant ici] essaient de ne pas réveiller Tshiuetin — le vent du nord — qui prend plaisir à terroriser tout ce que, par malchance, s’est retrouvé sur son chemin. De temps à autre, les enfants, très joyeux de ce moment de l’année, affrontent le froid, bien habillé, sur le dos de cheval électrique sur des myriades de lacs des environs. Deux à trois, riant, ils s’accrochent pour vaincre le froid mordant de cette ville hivernale. Ces joyeuses créatures sont la preuve que le peuple du nord n’a peur de rien. Résilient, il fonce, comme dirait Henri Meilhac :
« Nous marchons, la tête haute.Comme de petits soldats,Marquant, sans faire de fauteUne, deux, marquant le pas.
Et, timidement, la journée s’étirait, cherchant à se dépouiller de ce que lui restait de la nuit froide et morose du parallèle 55. Je me demandais curieusement comment serait cette célébration longuement désirée. Pourtant, à la veille, nous nous sommes rassemblés pour mettre les points sur les i. Sur le papier, on était certain que la journée serait magnifique. Mais, on savait aussi bien que dans cette ville, le temps peut changer en un clin d’œil. Dame nature y change d’humeur comme le caméléon.
La tente était déjà en attente de ses occupants, et la salle, fièrement décorée en couleur traditionnelle, se demandait où étaient ses hôtes. Heureusement que le couple, bien unique dans leur originalité, ne se doutait de rien sachant regarder seulement l’essentiel. Et, avec leurs sourires authentiques, ils rassuraient les filles et les garçons d’honneur de leur détermination de prononcer les vœux de ce sacrement en toute confiance. Nous avons bien rigolé, en les regardant répéter timidement la partie où le couple se donne un bisou officiel de leur mariage. Ce fut, à vrai dire, une belle soirée de répétition.
Et, comme si l’on avait fait un pacte avec dame nature, le vent a décidé de prendre un congé mérité cette matinée tant attendue. Trente minutes avant l’heure prévue, les membres de la communauté se pointaient un à un, comme surprit de la beauté de cette célébration du siècle. Les voitures se stationnaient comme dans un Ciné-parc. Et, les techniciens, quant à eux, couraient partout pour défier le froid et installer le système de sonorisation dans ce plein air féérique. Tous, nous nous réjouissions comme les enfants de Matimekush-Lac John sur leur skidoo au Lake Knob.
Et, au moment venu, comme dans un rêve, est apparu le mari au pas du chasseur et entouré de sa famille. Tenant la main de sa famille, il marchait comme sur une piste de danse de Makushan. Et, sans protocole, la communauté s’est mise à klaxonner pour signaler leur émerveillement de voir cette journée arrivée pour vraie. Et, comme, pour dire, à la communauté que le bonheur tardait à venir, la porte de l’église s’est ouverte, laissant sortir, une Ishkueu entourée de ses filles et ses garçons d’honneur dans un mouvement quasi chorégraphique. Souriant, comme elle sait si bien le faire, elle était à la tête de ce magnifique cortège nuptial. Ils étaient tous vêtus en vêtement traditionnel innu immaculé. Et, les filles d’honneur endossaient leurs beaux mocassins comme les Amazoniennes. Sur l’air de Noël, on les voyait marcher presque en l’air. Il était quasiment impossible de choisir qui admirer entre les filles et les gars, car tous, ils étaient habillés comme une carte de mode. Et, de toutes parts, on voyait uniquement des personnes joyeuses et émues de voir la tradition, la famille et l’amitié marcher main dans la main.