Ce matin, j’ai reçu les parents de M Napa Raphaël André, décédé le 14 janvier 2021 à Montréal. Raphaël, originaire de Matimekush-Lac John vivait à Montréal. Il est décédé dans une circonstance indigne, même du tiers-monde. Je les ai reçus pour préparer la célébration de demain. Il faisait très beau pour un mois de janvier dans cette ville nordique. Le soleil dans son habitude — pour ceux qui connaissent bien cette partie du Québec — se cachait juste entre les nuages et le froid qu’on voyait survoler comme un fantôme, au-dessus de nos montagnes et nos lacs.
Le couple, tous les deux souriant comme des fleurs en plein printemps, me parlait, avec amour et joie, de leur garçon, Raphaël. Si je ne les connaissais pas, je me serais demandé d’où leur venait cette joie intérieure.
Dans notre mission, nous rencontrons les gens, là où ils sont. Parfois, nous rencontrons plusieurs personnes même ceux qui sont blessés par des circonstances. Et donc, pour accueillir des parents qui viennent de perdre leur enfant, nous nous disposons à ne rien attendre de spécifique. L’expérience du deuil diffère d’une personne à l’autre.
Mais, aujourd’hui, j’ai osé poser l’une des questions qu’on doit, des fois, réfléchir deux fois avant de le poser. Je leur ai demandé de me parler de leur garçon. Je voulais juste savoir qui il était avant que le temps et les circonstances l’aient amené à Munian (Montréal). Car, je trouvais important à savoir ce que Napa aimait faire dans son jeune âge.
Et, les yeux fixés sur l’invisible, sa mère (neka) prononça un oracle : « Si Raphaël n’avait qu’une tente à Montréal il serait toujours vivant ». Évidemment, c’était encore plus envoutant l’entendre dire cela en Innu-aimun. Elle me dit, « je vais te raconter une histoire sur son enfance ». Et, son petit-fils qui traduisait ce qu’elle venait de dire s’est redressé sur sa chaise pour mieux comprendre ce moment sacré qui allait se produire. Elle respira fort et commença de nous faire voyager dans le temps.
« Il y a, à peu près, cinquante ans, un hiver plus intense que celui de cette année », commença-t-elle. « Il faisait vraiment froid, cet hiver en question. C’est le genre de l’année où le mot survivance avait plus de sens ». « Pourtant », poursuit-elle, « les seuls choix qu’on avait étaient de chasser ou de mourir de faim. Très tôt, ninapem (mon mari) est parti à la chasse. La journée semblait passer moins vite. Nous attendions qu’il revienne sans trop tarder. Or, ce jour-là, la chasse fut très longue. Le soleil s’est couché sans qu’il ne revienne.
Mais, comme on dit, le malheur et les jumeaux ne viennent jamais seuls, ce jour-là, en plus de mon mari qui tardait à revenir, le loup décida de faire le tour de notre campement. On l’entendait hurler aux alentours. Et nous n’avons plus ni l’eau ni le bois pour la nuit. Napa avait seulement quatre ans. Aller chercher de l’eau n’était plus optionnel. Nous avons donc décidé d’affronter notre peur. Timidement, nous sommes allés dans le lac à côté de notre campement pour trouver de l’eau pour la nuit.
Quelques minutes après notre retour du lac, ninapem (mon mari) était de retours. Il avait quatre castors (neu amishkuat) sur son dos », conclut-elle.
Ses yeux brillaient et on sentait qu’elle était transportée dans le nutshimit (à l’intérieur de la terre) pendant qu’elle racontait son histoire. Et tout de suite, son mari (unapema) a repris la parole.
« Depuis ce temps-là », disait-il, « Napa était tombé en amour avec le territoire. Et, il s’y débrouillait très bien, disait-il, dans nutshimit. Il aimait travailler fort, et prenait son temps pour chercher le bois.
Comme jeune homme, partir dans le bois avec lui était du fun. Par ailleurs, il était vaillant et serviable envers tout le monde », disait celui qui dira un grand au revoir à son garçon demain matin. « Tout au long de sa jeunesse, il se sentait bien fort et heureux dans le territoire. Et comme tous les jeunes innus de son âge, il se transformait, une fois rendu, dans nutshimit.
La mère (neka) reprenant la parole après son mari (unapema) me raconta comme Napa l’appelait régulièrement de Munianit. Elle disait qu’il prenait le temps pour lui raconter ses journées, et ce qu’il aurait vu ou fait, selon qu’il se le rappelait.
Celle qui disait avoir déjà mis une somme à côté pour le jour où son fils lui annoncera son désir de revenir à Matimekush m’a dit quelque chose que je n’oublierai pas si vite. Convaincue de la capacité impressionnante de jeunes innus de survivre dans les climats les plus ardus, elle me confia ce message :
“Si Napa avait juste une tente, même sans le bois de chauffage à Munianit, il aurait su comment se protéger contre le froid qui l’a emporté vers l’au-delà. Nous lui avons construit une tente devant notre maison ».